LE MARIAGE SOUS L' ANCIEN REGIME





Les veillées étaient autrefois un moment privilégié de la vie sociale.

« Les veillées s’enlisaient
dans la fumée des pipes,
le ronronnement des rouets,
le friselis des chènevottes,
la bonne odeur des soupes
et des tendresses, tenues au chaud ».

Celles-ci ont d’abord une fonction économique puisqu’elle est le moment où l’on va effectuer quelques travaux spécifiques. Deux sont ici rappelées, le travail de la laine avec l’évocation des rouets et le travail du chanvre. Les chènevottes ce sont les tiges de chanvre auxquelles on va appliquer l’opération du « teillage », c’est-à-dire ôter l’écorce afin d’extraire la filasse. Cette opération peut se faire avec un brise chanvre, mais, lors des veillées, on le faisait souvent à la main. On pourrait encore évoquer une autre activité, c’est le « gremaillage », c’est-à-dire l’action de casser les noix et d’en retirer les cerneaux afin, ensuite, de les porter au moulin à « troillette » où l’on pressait ces cerneaux pour en extraire la bonne huile de noix.
Mais la veillée n’a pas qu’une fonction économique, elle a aussi une fonction ludique, ou, plus globalement, sociale, comme toute rencontre : moments de discussions, de transmission d’une mémoire, de jeux, de chants, etc. C’était donc l’occasion rêvée pour se connaître. Les témoignages des prêtres du 19ème siècle reviennent souvent sur cet aspect. L'Eglise de cette époque est rigoriste et l’on n’aime donc pas beaucoup ces moments de la vie sociale. Ecoutons le curé de Thorens qui s’adresse à Mgr Rendu, alors évêque d’Annecy : « Les courses nocturnes accompagnées de chants, de cris, de huées, suivies de veillées, de danses, de jeux de cartes, quelques fois d’autres jeux indécents et même de la boisson des eaux-de-vie, d’une grande lubricité dans les paroles et les manières, sont malheureusement très usitées en toute saison ; mais surtout l’automne et l’hiver. Dans presque toutes les réunions on teille le chanvre le soir au moyen de nombreuses réunions qui ont les inconvénients énoncés ci-dessus ».
Les curés du 19ème siècle noircissent sans doute le tableau mais il est vrai que ces veillées étaient recherchées par les jeunes gens, devenant un terrain propice à des manœuvres d’approches pouvant conduire à plus, si affinité !

LA DEMANDE

Une fois le choix effectué, venait le moment très codifié de la demande. En règle générale, l’on ne fait pas soi-même cette demande. Dans certains cas, c’est un ami du garçon qui l’accompagne et qui va parler pour lui aux parents de la fille. On insiste souvent pour que cet ambassadeur soit marié ; cela rendant sans doute la démarche plus sérieuse.

Sinon c’est le père qui va effectuer la demande. Il doit le faire d’une manière naturelle mais, paradoxalement, en respectant un rituel très codifié. Le père se rend chez les parents de la jeune fille. On discute un peu de tout, de la pluie et du beau temps. Tous savent bien pourquoi il est venu, mais il y a des choses que l’on ne peut pas dire de but en blanc, ce serait inconvenant. Ce n’est donc qu’à la fin de la veillée que le père va amener la conversation sur le sujet. Si tout va bien, le père de la fille va conclure en offrant à boire pour sceller la promesse.

FERRER L’EPOUSE

On entre alors dans une série de rites, variés mais bien codifiés, qui ne prendront fin qu’avec le mariage lui-même. Le rituel social se manifeste d’abord par des dons et cadeaux. Le fiancé va devoir « ferrer l’épouse ». L’expression peut sembler un peu rude car ce que l’on ferrait à cette époque c’était d’abord les mulets. Mais, dans notre contexte, cela n’avait rien de désagréable puisqu’il s ‘agissait tout simplement d’aller acheter les bijoux.

On disait « acheter le bel » (ou les biaux). Ces belles choses, ce sont les bijoux mais parfois également les habits de fête.
Quels sont ces bijoux ? En règle générale la chaîne qui va supporter, parfois le cœur, et, toujours, la croix, l’alliance, les boucles d’oreilles et parfois une broche. Si au 19ème siècle, l’ensemble peut être en or, il était, auparavant, plus probablement en argent, voire même en bronze ou en fer.
Ces bijoux étaient souvent réalisés en fondant des pièces d’argent. Ce travail était celui de chaudronniers bijoutiers ambulants. Par la suite, l’on a eu l’implantation de bijoutiers dans les bourgs. Chacun se distinguait par une marque, un poinçon, qui attestait de son travail.

Tout cela avait un coût certain et l’on vendait parfois une vache pour pouvoir subvenir à ces dépenses. Dans des familles moins aisées, les bijoux sont des bijoux de famille que l’on se transmet d’une génération à l’autre.
Les bijoux étaient déposés dans un coffret en bois sculpté ; la coutume voulant que la fabrication et la décoration soient l’œuvre du futur lui-même. On avait donc des objets d’une certaine rusticité mais avec toujours une recherche dans une décoration personnalisée.
Le fiancé devait également remettre à sa future des arrhes, une somme d’argent qui lui restait acquise en cas de dédit. Il est vrai qu’il était plus difficile pour une fille qui avait été fiancée sans que cela n’ait abouti au mariage de pouvoir se fiancer à nouveau.

LA DOT

Les bijoux et les arrhes viennent donc du fiancé. La fiancée, ou tout du moins sa famille, se doivent également de donner quelque chose et ce n’était pas rien puisque c’était la dot. Le mot a la même origine que le don. Il faut rappeler un point important du droit savoyard de naguère : seuls les garçons héritent de la terre. La dot est donc la part d’héritage de la fille qui lui reste acquise en cas de veuvage. Cette dot se compose de quatre parties.
Une somme d’argent qui est la dot proprement dite.
Le trossel, c’est le trousseau composé des robes, linges de corps, vêtements ordinaires, toile et bien sûr les précieux vêtements qui se portaient lors des dimanches et fêtes : coiffes, châles et tabliers ; vêtements qui, on le sait, pouvaient être d’une grande richesse avec des tissus de soie ou de velours brodés.
Le fardel qui comprend la literie et le linge de table.

Enfin quelques objets et animaux. Le plus souvent c’est un coffre dans lequel l’on va pouvoir garder le linge et un rouet, instrument par excellence de la bonne épouse. Quant aux animaux tout dépend de la fortune familiale, au mieux une vache, plus souvent quelques brebis qui constituent ainsi une chaîne économique qui va de la laine au rouet et au coffre dans lequel l’on range les étoffes.

Tous les éléments de la dot sont précisément énumérés devant notaire qui rédige le contrat dotal, un document aujourd’hui précieux puisqu’il est une bonne photographie des objets du quotidien et de la fortune de nos ancêtres.

ULTIMES DEMARCHES

Le mariage étant autrefois un acte nécessairement religieux l’acheminement vers le mariage va devoir passer par la publication des bancs, c’est-à-dire le fait de rendre publique, en l’église, la prochaine union. Il y a trois publications qui se font les trois dimanches qui précèdent le mariage.
Dans certains villages, lors de la seconde publication, la fiancée invite ses amies pour confectionner le bouquet des mariés et les cocardes pour les conscrits du marié. C’est en même temps une cérémonie d’adieu : la fiancée offre bugnes et rissoles à celles dont elle va désormais être séparée par son statut marital.
Le troisième dimanche de publication, il y a souvent une cérémonie religieuse : la fiancée se rend à la grand-messe accompagnée d’une femme mariée, qui lui sert de chaperon, et qui va allumer deux cierges, symbolisant les deux époux. Une rude tâche attend les deux futurs à l’issue de la messe, ils doivent se rendre auprès de tous ceux qu’ils vont inviter. Les invitations sont déjà faites mais là encore l’on a affaire à un rituel qui, s’il était omis, serait une marque d’inconvenance. On est loin du temps des invitations écrites, il faut rencontrer chacun et accepter, en chaque maison, les boissons offertes. Tout cela, il est vrai, se faisant à pied !

Tout est maintenant prêt. Il ne reste plus qu’à attendre le jour des noces qui verra à son tour une richesse particulière en matière de rites, tant religieux que civils, pour bien marquer l’entrée dans une autre vie. Mais ceci est une autre histoire.

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